Liz courait. Le plus vite possible, les poumons menaçant d'éclater, la gorge en feu. Cela faisait bien dix minutes qu'elle fuyait, s'enfonçant dans le dédale de ruelles sombres qui constituaient le quartier sombre de Manchester. Elle ne voyait pas très bien dans la nuit tombée depuis plusieurs heures déjà. Elle ne savait pas où elle mettait ses pieds - nus - et n'avait d'ailleurs même pas le temps de s'en préoccuper. Elle était heureuse qu'ils la portaient, qu'ils ne ralentissaient pas malgré sa fatigue. Les torrents de pluie qui tombaient du ciel ruisselaient sur son visage, plaquaient ses cheveux bruns sur ses tempes, sur ses joues, lui rendaient la vision et les déplacements encore plus difficiles. Mais elle continuait, elle devait continuer à fuir. Elle avait peur, elle était terrifiée. Elle était tombée dans leur piège, n'avait échappé que grâce à son odorat, l'ouïe lui jouant encore des tours. Ils étaient plusieurs. Ils la traquaient depuis des années, mais c'étaient la première fois depuis longtemps qu'ils l'avaient approchée d'aussi près. Elle ne savait pas qui ils étaient, en fait, elle ne les avait jamais vus. Heureusement, d'ailleurs, sinon elle serait déjà morte depuis longtemps. Mais elle savait qu'ils lui étaient dangereux, qu'ils la voulaient, qu'ils ne lâcheraient pas prise avant de l'avoir capturée et tuée.

Un souffle de vent envoya une volée de gouttes d'eau dans son visage déjà assez mouillé. Elle ne ralentit pas, résistant à la fatigue qui voulait l'emporter. Mais c'est alors qu'elle réalisa ce qu'elle avait senti dans ce courant d'air. Ils étaient là, devant elle, ils l'attendaient. Ils s'étaient séparés, ils étaient là à l'autre bout de la rue, sans doute cachés dans l'enfoncement de quelque porte, de sorte à ne pas quelle les voie. Elle prit la première à droite, sans réfléchir. Elle sentit ses pieds glisser dans la boue de la ruelle, son corps se pencher dangereusement. Mais sa vitesse l'empêcha de tomber, au dernier moment. Ses jambes avançaient toutes seules, elle n'avait même plus besoin de réfléchir pour les contrôler. Elles la rattrapaient sans qu'elle ne dût faire quoi que ce soit, l'une se posant devant l'autre automatiquement. Elle ne se concentrait que sur sa respiration. Et sur eux. Elle devait sa survie à ses dons seuls, le problème était qu'elle ne les contrôlait pas. Ils se manifestaient sous forme d'instinct, d'impressions fugaces qu'il lui fallait intercepter et interpréter tout de suite, ou alors elles disparaissaient. Ç’avait failli être trop tard, pour le dernier signal.

Lumières. Il y avait devant elle des lumières. Loin, très loin, derrière des rideaux de brouillard et de pluie, mais elles y étaient. Était-elle en train de sortir de ce labyrinthe ? Cela signifiait la victoire, pour elle mais aussi le danger d'autant plus grand. Qui sait s'ils ne l'y attendaient pas ? Ils étaient beaucoup, et ils étaient organisés. La peur la saisit à nouveau. Mais il fallait tenter. Si elle voulait en ressortir vivante, elle devait quitter ce quartier. Elle accéléra en même temps qu'elle se concentra davantage sur ses sens. Ceux auxquels elle devait la vie, mais aussi ceux pour lesquels elle était ainsi traque depuis des années. L'ouïe et l'odorat. Cependant, rien de particulier ne se manifestait devant elle. Il y avait leur odeur de partout à ses côtés et derrière elle, mais l'air semblait libre au-devant. Alors, elle déboucha dans une grande route éclairée. Elle fut aveuglée un instant, mais ne s'arrêta pas, ne ralentit même pas. Elle continua sa fuite dans la même direction puisqu'aucun danger ne lui était signalé. Elle put voir où elle mettait les pieds mais n'eut pas le temps d'être dégoûtée par la crasse toxique qui jonchait le sol. Celui-ci était passé des pavés à l'asphalte. Elle s'approchait du port, elle sentait le sel et le poisson dans l'air. Si seulement elle pouvait l'atteindre assez tôt ! Elle fut tentée, pendant une fraction de seconde, de s'arrêter, de s'allonger par terre, de se laisser rattraper, emmener, mourir. Mais elle chassa cette pensée absurde de son esprit. Ces années de fuite gâchées par simple faiblesse ? Non, elle ne l'accepterait pas.

Le bruit de voitures parvint à ses oreilles. Venait-il de loin ou se rapprochait-elle rapidement de la civilisation. Elle n'arrivait pas à le déterminer. Son ouïe se dérobait à tout contrôlée de sa part, ces derniers temps. Mais alors qu'elle se penchait sur cette question, elle se retrouva sur une route bien plus grande et vit des phares de voitures. Elle eut le temps d'apercevoir un panneau indiquant le port heureusement dirigé vers la rue qu'elle prenait sans réfléchir. Elle y serait bientôt. Elle ne savait pas encore ce qu'elle y ferait, mais il lui apparaissait comme l'endroit le plus sûr de la ville, alors, elle courait pour le rejoindre. Elle savait qu'eux aussi couraient, qu'ils ne ralentissaient pas non plus, qu'ils avaient autant de détermination à la rattraper qu'elle à leur échapper. Et cette peur sourde ne quittait pas son cœur.
« Allez, plus vite, les gars ! Cette fois, il ne faut pas qu'on la loupe ! »
Elle sursauta. Elle ventait de l'entendre. Celui qu'elle entendait le plus souvent. Elle croyait que c'était le boss du groupe. Étaient-ils aussi près d'elle que les voitures précédemment ? Ses pas se firent plus longs et plus rapides encore, sa respiration rauque s'intensifia. Non, pitié, pensait-elle. Elle devait leur échapper !

Alors, enfin, sans qu'elle n'y ait été préparée d'aucune sorte, elle se retrouva sur le port. Les voiliers, les bateaux de pêche se dressaient devant elle. Sans hésiter, elle sauta. Sa tête fut plongée dans l'eau froide, mais déjà ses bras esquissaient les premiers mouvements de brasse. Silencieusement, elle s'éloigna du rivage. Après ce qui lui sembla être une éternité, alors qu'elle n'y croyait plus, elle atteignit l'autre bout de la rivière. Elle se hissa sur une barque et rejoignit ainsi la terre ferme. Puis elle marcha dans le sens contraire du courant vers l'intérieur des terres. Elle marcha longtemps, jusqu'à l'aurore, puis jusqu'à midi. La nuit venait de tomber à nouveau, alors qu'elle entrait dans une forêt, heureuse de cette opportunité renouvelée de se cacher. Depuis combien de temps errait-elle ? Combien de jours se cachait-elle ? Combien de nuits ne dormait-elle plus ? Elle avait perdu le compte. Elle ne savait plus rien, à part qu'elle devait fuir. Elle préférait ne même pas se demander d'où elle tirait son énergie. Elle ne devait pas s'arrêter, elle ne devait pas se retourner. Elle devait continuer à avancer. Ils ne l'auraient pas. Elle ne les laisserait pas l'avoir. Elle ne l'admettrait jamais.

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